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Thèse : Internement et libération à l’essai des auteurs d’infraction internés

Ce projet de recherche doctorale mené par Sophie De Spiegeleir, sous la promotion de Yves Cartuyvels et Nicolas Marquis, s’inscrit dans le cadre du projet interdisciplinaire AutonomiCap, et porte sur la scène de l’internement des auteurs d’infraction reconnus atteints d’un trouble mental qui échappent au système pénal en raison de leur irresponsabilité. Plus particulièrement, ce projet s’intéresse au stade de la libération à l’essai des personnes internées en Belgique francophone tel que régi par la loi du 5 mai 2014 (et entrée en vigueur au 1er octobre 2016).

Le régime des personnes internées est organisé par la loi belge du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (entrée en vigueur le 1er octobre 2016). Plus particulièrement, la thèse prend pour objet d’étude la libération à l’essai des personnes internées (art. 25 de la loi de 2014) : étape obligatoire du parcours d’internement et dernier sas avant la libération définitive, celle-ci s’exécute dans différents cadres selon le degré d’autonomie de la personne (hôpital psychiatrique, habitation protégée, à domicile, etc.) et s’accompagne de conditions et/ou d’obligations probatoires pour une durée de trois ans minimum. Si beaucoup de travaux se sont déjà penchés sur l’internement en Belgique et ses enjeux, peu se sont intéressés à l’étape de la « sortie » de l’internement et aux questions de savoir, d’une part, comment les professionnels évaluent concrètement la capacité des individus à sortir de la mesure d’internement et à se réinsérer, et d’autre part, comment les personnes internées vivent leur trajectoire ainsi orientée.

Sur la base d’une approche ancrée dans la sociologie des professions (Champy 2012 ; Ravond, Vidal-Naquet, 2018 ; etc.) et une socio-anthropologie du handicap et de la santé mentale (Ville, Fillion, Ravaud, 2020 ; Velpry, 2008 ; etc. ), cette recherche se décline en deux volets : dans un premier temps, il s’agira, d’une part, de mieux saisir comment les professionnel-le-s de la santé mentale, intervenant notamment au stade de la libération à l’essai, prennent en charge une personne internée. Le « dispositif responsabilisant » qu’est la libération à l’essai fait appel aux « capacités d’autonomisation » de l’individu interné (Cartuyvels in Cantelli et Genard, 2007) qui doit prouver qu’il est capable de mener à bien son projet de réinsertion en vue d’une libération définitive. Ce champ semble être en effet traversé par une attente en termes d’autonomie des individus sous mesure judiciaire, alors étiquetés comme « troublés » et « à risque ». Le trouble mental doit suffisamment être stabilisé et le risque de commettre de nouvelles infractions doit être considérablement réduit, ce qui implique de mobiliser des outils d’évaluation de l’autonomie, du « trouble » et du risque. Dans un second temps, il s’agira d’analyser les implications de ces pratiques sur l’expérience vécue des personnes internées en libération à l’essai.

Pour éclairer ces deux parties de la recherche, Sophie De Spiegeleir a mené une enquête ethnographique pendant une année et demie en Belgique francophone. Lors de celle-ci, j’ai d’abord observé le travail d’une antenne d’équipe mobile « Trajet de Soins pour Internés ». Ce premier matériau empirique a permis, entre autres, d’en cerner les principales missions : mises sur pied dès les années 2010, les équipes mobiles TSI ont pour but d’accompagner les personnes internées tout au long de la mesure en vue de la construction d’un projet de libération à l’essai d’une part, d’un projet de libération définitive et de réinsertion sociale, d’autre part, ainsi que de la consolidation d’un réseau de soins autour de la personne internée. Ce premier terrain a également permis de saisir les enjeux de la prise en charge ambulatoire, assez neuve dans le champ de l’internement. Ensuite, au cours d’un « stage en immersion » de dix mois, elle a pu observer, à raison de deux à trois jours par semaine, le quotidien de deux Unités Psychiatriques Médico-Légales.Ces unités appartiennent à deux établissements psychiatriques distincts et hébergent, chacune, une petite trentaine de patients internés en libération à l’essai. Ce deuxième matériau empirique a permis de saisir, cette fois, les enjeux d’une prise en charge résidentielle : à quoi ressemble la libération à l’essai « dans les murs » d’une institution psychiatrique ? Ce terrain d’enquête a aussi mis en avant les critères et les outils d’évaluation mobilisés par les équipes professionnelles afin de catégoriser un patient interné en vue de sa réinsertion dans la société. L’objectif de cette immersion était aussi de mieux cerner les contours de l’expérience des personnes directement concernées.