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Au départ des balises communes du projet, le volet juridique d’Autonomicap s’est peu à peu construit comme une analyse de l’impératif de désinstitutionnalisation des personnes handicapées, notamment déduite de leur droit à l’autonomie consacré à l’article 19 de la CDPH par le Comité des droits des personnes handicapées[1]. En lisant dans l’article 19 de la Convention une obligation de désinstitutionnalisation stricte et totale des citoyens en situation de handicap, le Comité a récemment rompu avec les jurisprudences plus nuancées d’autres organes de protection de droit fondamentaux (le Comité européen des droits sociaux et Cour européenne des droits de l’homme, notamment)[2]. Un temps larvée, cette opposition entre les jurisprudences internationales est devenue explicite ; elle met les autorités belges face à un dilemme d’ordre juridique (quelles normes de droit international respecter, au prix de quelles autres ?). Ce dilemme juridique se superpose à des dilemmes d’ordre politique et budgétaire, ainsi qu’à une division dans les revendications de la société civile. Faut-il supprimer les institutions d’accueil pour personnes handicapées ? les modifier de l’intérieur ? en élargir et diversifier l’offre ? Faut-il augmenter leur financement ? le convertir en aide à domicile ? le soumettre à une plus grande conditionnalité ? Ces questions connues, dont le Comité a ravivé l’actualité par sa jurisprudence osée, imposent un retour sur les sources, les enjeux, et le statut juridique précis de la désinstitutionnalisation des personnes handicapées.

La recherche s’attachera en premier lieu à retracer le processus de formalisation juridique de l’impératif de désinstitutionnalisation, depuis ses sources matérielles (dans des propositions politiques localisées et marginales) à ses sources formelles dans le droit international (revendiquant une portée universelle, via un ancrage dans les droits fondamentaux catégoriels). Cette étude amènera à remonter aux écrits et réalisations respectifs des promoteurs scandinaves de la « normalisation » des conditions de vie des déficients intellectuels, du mouvement social grassroot de l’independent living, en passant par l’histoire mouvementée de l’antipsychiatrie et du désaliénisme. Elle reviendra en outre sur le statut central de l’impératif de désinstitutionnalisation dans le mouvement des droits des personnes handicapées depuis son origine. Un passage par la sociologie du droit éclairera la formalisation progressive – et incomplète – de cet impératif dans le droit international des droits humains.

Une deuxième étape de la recherche étudiera la mise en œuvre – à plus forte raison incomplète – de cet impératif juridique dans le droit belge. Cette étude sera menée en priorité sur trois dispositifs juridiques, concernés par l’impératif de désinstitutionnalisation et ayant fait l’objet de réformes récentes : (1) le financement des services flamands pour les personnes handicapées (récemment transformés en budgets personnels) ; (2) l’internement pénal (réformé en 2014 pour répondre à ses critiques récurrentes) ; (3) les « maisons pirates » wallonnes (accueillant les personnes marginalisées n’ayant pas trouvé de place dans l’offre institutionnelle, et ayant fait l’objet de tentatives difficiles de réglementation « souple »). L’objectif sera double. Il s’agira tant de questionner la conformité du droit belge au droit international que d’analyser les oppositions divisant le droit international au regard de ces cas belges. Devrait s’en dégager un cadre juridique complexe, à la mesure du pluralisme qui caractérise le réseau des droits humains, au sein duquel les autorités belges sont conduites à définir leurs politiques publiques en matière de handicap. Conformément au droit des droits fondamentaux, on renverra à la « marge d’appréciation nationale » qu’on souhaitera plus instruite des dilemmes et enjeux qui caractérisent la désinstitutionnalisation des personnes handicapées.

Tout comme le handicap concerne potentiellement une multitude d’aspects de la vie des citoyens qui le vivent, une désinstitutionnalisation réussie implique une multitude de matières juridiques, aussi diverses que le droit de la sécurité sociale, le droit pénal, le droit civil et jusqu’au droit de l’urbanisme – ce que reconnait du reste la jurisprudence ambitieuse du Comité des droits des personnes handicapées. A sa suite, le volet juridique du projet AutonomiCap tentera de dégager des formes juridiques transversales susceptibles de donner corps au droit à l’autonomie des citoyens concernés. Il testera ensuite ces formes juridiques sur les deux « scènes » étudiées par Sophie de Spiegeleir et Noé Rimbourg dans le cadre du volet empirique d’AutonomiCap : l’internement pénal et les allocations d’intégration fédérales. Intitulé « Dilemmes et formes juridiques de la désinstitutionnalisation dans le droit belge et international du handicap », ce troisième volet du projet AutonomiCap est mené par Louis Triaille, sous la supervision d’Yves Cartuyvels et d’Isabelle Hachez[3].

 

[1]  Observation générale n°5 du Comité des droits des personnes handicapées sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société, 27 octobre 2017, CRPD/C/GC/5.

[2]  Cf. I. Hachez et J. Vrielink, Les grands arrêts en matière de handicap, Bruxelles, Larcier, 2020, not. pp. 35 à 40, 433 à 441, 563 à 656, 750 à 781, 798 à 812 et références citées.

[3] Une première collaboration entre Isabelle Hachez et Louis Triaille a mené aux conclusions de l’ouvrage collectif Les grands arrêts en matière de handicap (cf. note précédente), coécrites avec Jogchum Vrielink, dont les réflexions finales nourriront le travail réalisé dans le cadre d’AutonomiCap.